vendredi 24 avril 2015

Un milpero, Juntúul koolkaab

Le travail de la milpa / Trabajando en la milpa
(Photo Arux Duende del Mayab)

Les Contes mayas de Domingo Dzul Poot continuent de m'enchanter... Leur atmosphère est toujours bien typique du Mayab et de la culture qui me passionne, mais on peut parfois faire aussi des rapprochements inattendus, comme nous l'avons déjà vu à propos de la chauve-souris. Je voudrais aujourd'hui vous en montrer un autre.


Le conte que je vous résume ici s'intitule Un milpero, Juntúul koolkaab. Le milpero est le paysan qui vit de sa milpa, le champ de maïs qu'il cultive, comme nous l'avons déjà vu.

Il était une fois un paysan particulièrement honorable, qui ne trichait pas sur les mesures. Mais une fois qu'il avait beaucoup travaillé, une grande sécheresse lui donna une très mauvaise récolte: "une seule hotte de maïs" (chéen junxúuxak nal), "de vilains petits épis, tout niellés, aux grains malades ou picorés par les oiseaux" (ts'uuts'tak u nalilo'ob, ya'ab u kobilo'ob, koja'antak yixi'imalo'ob, t'oja'antako'ob tumen ch'íich').

Désolé, il chargea la hotte sur son dos et se dirigea vers sa maison. En chemin, il déposa son fardeau contre une pierre levée, à l'ombre d'un arbre, et il s'endormit de fatigue. Au réveil, plus de hotte, on l'avait volée. Le milpero fond en larmes. X-K'anle'ox, la mère des dieux, lui apparaît: il lui explique ce qui lui arrive: "Demain, je n'aurai rien à manger" (sáamale' mina'an ba'al in jantej). La déesse promet de l'aider, et disparait.

Elle revient avec une hotte de grands et beaux épis de maïs jaune, sains "comme s'ils venaient de la milpa des grands Seigneurs de la Forêt" (bey bin tu kool nukuch Yuumilo'ob K'áax). À la question de la déesse "C'est ta hotte?" le milpero répond "Non, ce n'est pas ma hotte". La déesse repart.
Elle revient cette fois avec une hotte de grands épis blancs, beaux "comme s'ils étaient un cadeau du Dieu de la Pluie" (bey bin u siibal Yuum Cháake'). Même question, même réponse.

Elle revient alors avec une hotte de petits épis niellés et picorés: "C'est ma hotte, c'est ma hotte!"(Lelo' in xúuxak, lelo' in xúuxak). Puisque le paysan est un homme d'honneur, la déesse lui offre aussi les deux autres hottes, et le paysan s'en va, bien chargé mais bien heureux.

En chemin, il croise un autre paysan, qui s'étonne de ces si beaux épis: il lui raconte l'histoire. Le second milpero va à la pierre levée, et se met à pleurer: la déesse arrive et promet de l'aider. Elle revient avec une hotte d'épis que le milpero réclame pour sienne. Aussitôt la déesse disparait pour toujours. Et le paysan continue de l'attendre, pétrifié à côté de la pierre levée: on se demande pourquoi! (tuunich bin p'aatik tak walkila: ba'axten ta t'aan).

Les descriptions détaillées, les répétitions, l'humour final sont typiques d'un conte maya. Les péripéties et les personnages aussi. On voit le dur labeur de la milpa avec ses aléas, tricheries sur les mesures et vol des récoltes, travail pénible au rendement incertain, outillage modeste. Les réactions sont également bien typées: très souvent, dans un conte maya, un homme "pleure, pleure, pleure" (u yok'ol, u yok'ol, u yok'ol).

Le monde qui entoure les milperos est lui aussi caractéristique.
Il est peuplé de présences sacrées. X-K'anle'ox, la déesse mère des dieux, dont le nom est d'origine botanique ("Feuille jaune du ramón", brosimum alicastrum, appelé parfois "noyer maya" en français), est d'après le dictionnaire Cordemex encore mentionnée dans les prières mayas actuelles. Plus connus sont Cháak, le dieu de la pluie, et Yuum K'áax, le Seigneur des forêts, auquel José Natividad Ic Xec a consacré un joli chapitre dans La Femme sans tête, "Jalousie et furie de Yuum K'áax". Il y montre par des anecdotes pittoresques comment le "Seigneur et maître des bois", à qui le paysan doit demander permission pour faire sa milpa, "se venge de ceux qui abîment ses propriétés", et il conclut ainsi: "Le paysan préfère dire 'les seigneurs de la forêt' (u yuumilo'ob k'áax) parce qu'il sait que dans sa tâche de vigilance, la divinité se multiplie."

Le "lieu de la pierre (túun) dressée (wa'laja'an)" est Tixhualatún. Il y a plusieurs villages de ce nom au Yucatán, mais par coïncidence c'est justement le nom du village natal du père de mon ami José (La Femme sans tête, fig. 2). Et ne peut-on penser qu'une pierre dressée, dans le monde maya, fait allusion à une stèle antique, et un homme pétrifié près de la stèle, à une statue ou à une effigie dans la pierre?

Et pourtant ce conte si bien ancré dans le Mayab trouve un parallèle... en Russie! Il s'agit d'un conte de Léon Tolstoi, Le Moujik et l'Esprit des eaux, publié chez Plon en 1888 (Contes et fables, p. 112-113) dans la traduction d'E. Halpérine-Kaminsky. En voici le texte:

"Un moujik laissa tomber sa hache dans la rivière, et, de chagrin, se mit à pleurer. L'Esprit des eaux, entendant ses pleurs, eut pitié de lui; il lui apporta une hache en or; et il lui demanda: - Cette hache est-elle à toi? Le moujik répondit: - Non, elle n'est pas à moi! L'Esprit des eaux lui apporta une hache en argent. - Ce n'est pas ma hache, dit de nouveau le moujik. Alors, l'Esprit des eaux lui rapporta sa propre hache, et le moujik s'écria: - Voilà la mienne! Pour le récompenser de sa franchise, l'Esprit des eaux lui fit présent des trois haches.
De retour à la maison, le moujik montra ce cadeau, et conta son aventure à ses camarades. Un des moujiks eut l'idée de faire comme lui: il alla au bord de l'eau, laissa tomber sa hache, et se mit à pleurer. L'Esprit des eaux lui présenta une hache en or et lui demanda: - Est-ce là ta hache? Le moujik, tout heureux, s'écria: - Oui, oui, c'est bien la mienne! L'Esprit des eaux ne lui donna ni la hache en or ni la sienne, pour le punir de l'avoir trompé."

Comment se créent et se transmettent les contes?... L'Esprit de l'eau a émigré au Guatemala! Un conte en maya q'anjob'al compilé à San Pedro Soloma, Huehuetenango, par le linguiste et enseignant maya Ruperto Montejo Esteban raconte presque la même histoire que le conte publié par Tolstoi. Voici le résumé de ce conte:

Pour aller couper du bois, un homme emprunte la hache d'un ami. Celle-ci tombe dans la rivière. Un vieil homme (l'Esprit) s'approche pour aider le héros du conte à condition qu'il ne touche pas à sa cane. Le vieillard lui montre successivement une hache d'argent, une hache d'or, et la hache de son ami. Lui donnant pour son honnêteté les trois haches, il lui recommande de conserver soigneusement les deux haches précieuses, qui lui seront un talisman. L'ami découvre ce qui s'est passé (on ne sait comment) et il va jeter sa hache dans la rivière. Il refuse d'abord la hache d'argent, mais réclame la hache d'or. Le vieux magicien n'est pas dupe, mais il lui rend quand même sa vieille hache.

En fait, ce schéma est un thème ésopien. Dans la fable grecque, le bûcheron est aidé par Hermès (de là vient la Fable de La Fontaine Le Bûcheron et Mercure, V, 1, où l'eau a disparu). Dans la classification des contes par Aarne-Thompson-Uther (ATU), il porte le n° 729. H.-J. Uther, The Types of International Folktales, 2011, relève une vingtaine d'origines connues pour ce conte (dont l'Espagne), mais une seule attestation, au Brésil, pour l'Amérique. Il ne cite pas plus le conte guatémaltèque que le conte yucatèque.

Le conte de Dzul Poot à la thématique bien différente et bien plus riche que la fable ésopienne est-il la contamination entre un schéma d'origine occidental et un autre né dans le Mayab? Apparemment c'est de la bouche de sa propre mère que Dzul Poot a recueilli les contes qu'il publie... Quoi qu'il en soit, permettez-moi de préférer de beaucoup la richesse de détails du conte yucatèque à la concision du conte russe, la déesse nourricière à l'Esprit des eaux, et la rectitude de ce milpero au dur labeur poursuivi par la malchance à l'honnêteté ponctuelle du moujik.
xxx

La iglesia de Tixhualatún, pueblo del padre de José Natividad Ic Xec
L'église de Tixhualatún, village du père de José Natividad Ic Xec
(Archivo El Chilam Balam)

Los Cuentos mayas de Domingo Dzul Poot todavía me encantan... Sus atmosferas siempre son típicas del Mayab y de la cultura que tan me interesa. Sin embargo de vez en cuando esos cuentos parecen relacionados con otros textos de manera inesperada, como ya lo vimos para el murciélago. Ahora quiero darles otra relación extraña.

El cuento que voy a resumir aquí se titula Un milpero, Juntúul koolkaab. El milpero es el campesino que vive de su milpa, el campo que le da su maíz y otros cultivos, como ya lo vimos.

Hubo entonces un campesino muy honesto, que hacía muy correctamente la medida de su milpa. Sin embargo en una ocasión hizo mucha milpa pero una sequía grande le dio una muy mala cosecha: "solamente un cesto de elotes" (chéen junxúuxak nal), "pequeños elotes lastimados, enfermitos los maíces, picoteados por los pájaros" (ts'uuts'tak u nalilo'ob, ya'ab u kobilo'ob, koja'antak yixi'imalo'ob, t'oja'antako'ob tumen ch'íich').

Con todo el dolor de su corazón cargó su cesto y salió rumbo a su casa. En el camino, muy cansado, asentó su cesto a una piedra de pie, debajo de la sombra de un árbol, y se puso a dormir. Cuando despertó, no estaba el cesto, se lo robaron. Empezó a llorar el milpero. X-K'anle'ox, la madre de los dioses, le habló, y él le contó lo que le había pasado: "mañana, no tengo nada que comer" (sáamale' mina'an ba'al in jantej). La diosa promete ayudarlo, y se va.

Vuelve con un cesto de elotes amarillos muy grandes, muy bonitos, y saludables, como si venían "de la milpa de los grandes Señores del monte" (bey bin tu kool nukuch Yuumilo'ob K'áax). Pregunta la diosa: "¿es tu cesto este?" Responde el milpero: "No, ese no es mi cesto." La diosa se va, y vuelve con un cesto de grandes elotes blancos y bonitos "como si fueron regalo del dios de la lluvia" (bey bin u siibal Yuum Cháake'). A la misma pregunta el milpero dio la misma respuesta.

Volvió entonces la diosa con un cesto de elotes malos, pequeños, picoteados. "¡Ese es mi cesto, ese es mi cesto!" (Lelo' in xúuxak, lelo' in xúuxak). Por ser un hombre de verdad, la diosa le dio también los otros dos cestos de elotes. El milpero se fue, muy cargado pero muy feliz.

Estaba caminando cuando se encontró con otro campesino, que admiró tan bonitos elotes: el milpero le cuenta lo que le ocurrió. El segundo milpero se fue a la piedra levantada, y se puso a llorar. Vino la diosa y le prometio su ayuda. Regresa con un cesto de bonitos elotes, y el milpero dice que es suyo. En seguida desapareció la diosa para siempre. El campesino ya está esperándola, convertido en piedra. ¿Porque crées? (tuunich bin p'aatik tak walkila: ba'axten ta t'aan).

Las descripciones muy detalladas, las repeticiones, el humor al fin de la historia son bien típicos de un cuento maya. Las peripecias y los personajes también. Se ve el trabajo duro de la milpa con sus riesgos, engaños sobre las medidas o robo de las cosechas, un labor penoso con rendimiento incierto y herramientas modestas. Las reacciones también son bien observadas. Muy a menudo, en un cuento maya, un hombre se pone "a llorar, a llorar, a llorar" (u yok'ol, u yok'ol, u yok'ol).

El mundo de los milperos también es característico.
Está poblado de fuerzas sagradas. X-K'anle'ox, la diosa madre de los dioses, cuyo nombre tiene una origen botánica ("Hoja amarilla del ramón", brosimum alicastrum), "todavía se menciona en las oraciones del maya actual", según el Diccionario Cordemex. Más conocidos están Cháak, el dios de la lluvia, y Yuum K'áax, el Señor del monte. José Natividad Ic Xec le consagró un bonito capitulo en La mujer sin cabeza, "Celo y furia de Yuum K'áax". Ahí muestra por anécdotas pintorescas cómo el "Señor y dueño de los montes", al cual el campesino pide permiso para hacer su milpa, "se venga de quienes dañan sus propiedades", y concluye así: "El campesino prefiere decir 'los dueños del monte' (u Yuumilo'ob k'áax) porque sabe que en su tarea de vigilancia la deidad se multiplica."

El "lugar de la piedra (túun) levantada (wa'laja'an)" est Tixhualatún. Hay varios pueblos que se llaman Tixhualatún en Yucatán, pero por coincidencia es precisamente el nombre del pueblo natal del padre de mi amigo José. Y acaso ¿no podemos pensar que en el mundo maya una piedra de pie se refiere a una estela antigua, y un hombre petrificado cerca de esa estela a una estatua o una efigie en piedra?

Sin embargo, ese cuento tan arraigado en el Mayab tiene un paralelo... ¡en Rusia! Se trata de un cuento publicado por León Tolstoi, El mujik y el Espíritu de las aguas. Aquí está ese texto:

"A un mujik se le cayó su hacha en un río, y apenado se puso a llorar.
El Espíritu de las aguas se compadeció de él y presentándole un hacha de oro le preguntó: - ¿Es esta tu hacha?
El mujik respondió: - No, no es la mía.
El Espíritu de las aguas le presentó un hacha de plata. - Tampoco es esa, dijo el mujik.
Entonces el Espíritu le presentó su propia hacha de hierro. - ¡Esa es la mía!
Para compensarlo por su honradez, el Espíritu le dio las tres hachas.
De regreso a su casa, el mujik mostró su regalo, contando su aventura a sus amigos.
Uno de ellos quiso probar suerte: fue a la orilla del río, dejó caer un hacha y rompió a llorar.
El Espíritu de las aguas le presentó un hacha de oro y le preguntó: - ¿Es esta tu hacha?
El mujik, lleno de alegria, respondió: - Sí, sí, es la mía.
El Espíritu no le dio el hacha de oro ni la suya de hierro, en castigo de su mentira."

¿Cómo se crean y se transmiten los cuentos? El Espíritu del agua ¡migró a Guatemala! Un cuento en maya q'anjob'al recopilado en San Pedro Soloma, Huehuetenango, por el linguista y maestro maya Ruperto Montejo Esteban cuenta casi la misma historia que el cuento publicado por Tolstoi. Aquí está el resumen de ese cuento:

Para cortar leña, un hombre pide prestado el hacha de su compadre. Cae el hacha al fondo del río. Un anciano (el Espíritu) viene a ayudarlo con la condición de que el hombre no mueva su bastón. El anciano le muestra sucesivamente al hombre un hacha de plato, una de oro, y el hacha de su compadre. Por ser muy sincero y honrado, le da las tres hachas, y le dice que guarde con cuidado las dos preciosas, que serán para él un talismán. El compadre descubre lo que pasó (no sabemos cómo), va al río y tira su hacha al agua. Aparece el anciano. Primo el hombre rechaza el hacha de plato, pero pide el hacha de oro. El anciano no se deja engañar, sin embargo lo devuelve su vieja hacha.

De hecho, ese esquema es un tema esopiano. En la fabula greca el leñador está ayudado por Hermes (de eso viene la fabula de La Fontaine El leñador y Mercurio, V, 1 en donde el agua a desaparecido). En la clasificación de los cuentos de Aarne-Thompson-Uther (ATU), tiene el n° 729. H.-J. Uther, The Types of International Folktales (Los tipos de los internacionales cuentos), 2011, nota una veintena de origenes conocidos para ese cuento (incluso España), pero uno solo, Brazil, para América. No cita ni el cuento guatemalteco, ni tampoco el cuento yucateco.

El cuento de Dzul Poot tiene temas diferentes y es mucho más rico que la fabula esopiana. Quizá es una síntesis ¿entre un esquema de origen occidental y otro nacido en el Mayab? Aparentemente, Dzul Poot recibió los cuentos que publica de la propia boca de su madre. De todo modo, a mi me gusta mucho más el cuento de Dzul Poot que él de Tolstoi: prefiero la riqueza de detalles del cuento yucateco a la concisión del cuento ruso, la diosa nutricia al Espíritu de las aguas, y la honestad del milpero que trabaja tanto y está perseguido por la mala suerte a la sinceridad puntual del mujik.

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